Arrêt LEGROS et aut. c/ FRANCE, requête n° 72173/17 et 17 autres du 9 novembre 2023 : Une nouvelle consécration du principe de sécurité juridique
La jurisprudence du Conseil d’Etat met fin au principe de contestation perpétuelle d’une décision en fixant le principe suivant :
« Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance »
Conseil d’État, Assemblée, 13/07/2016, 387763, Publié au recueil Lebon
Evidemment, un tel revirement a fait l’objet de contestations auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, ce d’autant plus qu’elle s’appliquait aux instances en cours.
Le cabinet FEDARC a également saisi la Cour d’une requête similaire.
En réalité, cet arrêt posait deux difficultés, à savoir :
– la conventionalité de cette jurisprudence qui restreint l’accès au juge de manière prétorienne en fixant à un 1 an à compter de la notification le délai raisonnable de recours en l’absence de mention des voies et délais de recours ;
– l’application immédiate de cette nouvelle règle de procédure aux instances en cours.
D’ores et déjà, on notera l’application de l’article 6 – 1 convention européenne des droits de l’homme dans le domaine du droit administratif.
Dans cet arrêt, la Cour européenne fait une application assez classique de sa jurisprudence.
En application de l’article 6-1 de la convention, si l’accès au tribunal doit être effectif, il n’est pas absolu.
A ce titre, les Etats disposent d’une marge d’appréciation à condition de ne pas atteindre la substance de ce droit.
En outre, toute restriction doit poursuivre un motif légitime.
Il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre le but visé et les moyens employés.
En l’espèce, la jurisprudence du Conseil d’Etat vise à assurer la sécurité juridique et une bonne administration de la justice (la Cour EDH développe la définition de ces notions).
Avant de se prononcer, la Cour vérifie l’accessibilité, la clarté et la prévisibilité de la norme.
Pour autant, elle ne semble pas s’émouvoir du fait que cette règle soit dégagée de manière prétorienne (après tout, le délai de deux mois est fixé dans la partie règlementaire du Code de justice administratif).
In fine, la Cour européenne considère que la définition du délai raisonnable offre une période de temps suffisante afin de permettre au justiciable de former un recours.
Par comparaison à d’autres délais, ce délai semble effectivement acceptable.
Il sera rappelé que ce délai est évidemment applicable qu’à la condition que la décision ait été notifiée à l’intéressé.
En outre, la Cour relève que ce délai peut être écarté en cas de circonstance particulière.
On pourra néanmoins s’interroger dans la mesure où à ce jour, il n’a jamais été fait application de cette notion.
A l’inverse, la Cour condamne la France en raison de l’application de cette jurisprudence aux instances en cours, à nouveau par application du principe de sécurité juridique.
In fine, sans surprise, la Cour européenne valide le principe fixé par cette jurisprudence et donne une nouvelle illustration des effets de l’application du principe de sécurité juridique dégagé il n’y a pas si longtemps (arrêt Conseil d’Etat assemblée KPMG n°288460 en date du 24 mars 2016).
Cet arrêt a néanmoins le mérite de confirmer la position attendue des juges de la Cour de Strasbourg.
L’apport de cet arrêt est peut-être dans l’application du principe de sécurité également au bénéfice du justiciable.
En application de ce principe, souvent mal accueilli, le justiciable peut se prémunir contre toute imprévisibilité de la règle de droit, y compris lorsque l’évolution du Droit émane directement de la Haute juridiction administrative.